MANES, LE POETE VISIONNAIRE

Publié le 8 Septembre 2006

Cathares, Inquisition,hérésie, manichéisme... Voilà des mots qui, dans notre partielle ignorance et notre inconscient collectif, suscitent  malaise ou peur irraisonée plutôt que quiétude ou jubilation !

Ici, je voudrais juste soulever l'influence exercée dans le monde à partir du IIIème siècle, par Manès (ou Mani), poète visionnaire iranien, missionnaire issu d'une secte baptiste de Mésopotamie. De son nom est tiré le mot "manichéisme", nom de la doctrine dont il est le fondateur, basée sur la coexistence des deux principes fondamentaux égaux et opposés du Bien et du Mal.

Aux yeux du christianisme médiéval, l'hérésie (lat. haeresis=opinion, système : gr hairesis=choix:en clair, selon la théologie catholique:conception erronée en matière de foi) fut la faute majeure, le seul péché impardonnable assimilé à un crime de lèse-majesté envers Dieu lui-même, raison pour laquelle il entraînaît  la peine de mort en ce monde, la damnation éternelle dans l'autre monde. Identifié comme le venin mortifère, une pestience, une infection irrémédiable, ce péché attirait malheur et malédiction, sur les faibles créatures humaines quiy avaient été conduites, directement ou indirectement.

Il faut considérer ce mouvement comme un système chrétien différent, avec une structure complexe mais aussi complète avec ses écritures sacrées, ses traditions, ses liturgies, ses rites et sacrements, ses hiérarchies et son mode d'organisation, son clergé et ses fidèles, sa théologie, sa méthaphysique, sa morale, son propos de vie et enfin son message. Mais rejetant les principes de Rome et de Constantinople, il est toujours considéré comme indépendant.

Ce christianisme parallèle fut-il une religion ?

Oui, mais de manière médièvale, c'est -à-dire ordre régulier, avec des religieux, des moines, des prêtres abbés qui vivaient en monastère, ordre séculier avec des clercs, des curés, des évêques demeurant au contact de la vie.

Du fait que c'est une religion morte, irrémédiablement éradiquée au cours des deux derniers siècles du Moyen-Äge, il s'agit d'un système religieux qui se distingue radicalement des autres grandes organisations spirituelles : il n'y a plus et il ne peut plus y avoir de cathares.

Aujourd'hui, avec beaucoup de difficultés, les historiens s'efforcent de restituer une image "lisible" de ce passé, d'y trouver une certaine logique,confrontés aux éléments d'une foi qui fut celle d'êtres qui ne sont plus dans un monde qui n'est plus. Grâce aux documents conservés, certains de ces êtres disparus peuvent encore témoigner indirectement, mais personne ne peut plaider leur cause profonde dans notre langage d'aujourd'hui.

"un vivant parle à des vivants à propos des morts" telle doit être la démarche des historiens.

Quand et où le catharisme est apparu dans l'histoire ?

Ce qui est reproché avec véhémence aux cathares, dans les actes de leur condamanation, ce fut essentiellement à partir de la fin du XIIIème siècle, le dualisme, une conception de la Création donnant prétexte àles comparer à des modèles manichéens. pourtant, selon les nouvelles  normes médièvales, les manichéens historiques de la base antique n'auraient pas eu le droit au vocable "d'hérétique" mais à celui "d'infidèles", des êtres extérieurs au christianisme. la doctrine manichéisme était cette vieille exception qui professe la coexistence et la lutte éternelle de deux principes:l'un  bon symbolisé par la lumière, l'autre mauvais, figuré par les ténèbres et identique à la matière.

Le père spirituel de cette vision du monde est Manès, né à Babylone en 216. A douze ans, il reçoit un message divin et s'éloigne des gens de la religion dans l'espoir de créer un renouveau. Mais le temps n'et pas encore venu.

Douze années s'écoulent. Manès entend à nouveau la voix du Ciel. Le temps est venu. Manès veut alors se faire connaître et proclame bien haut sa doctrine.

Il es reçu à la cour. Le roi Châhpulr Ier l'autorise à prêcher, à faire des adeptes, le suit dans ses différentes expéditions, se serait même converti. L'histoire prétend que Sa Majesté aurait été emmenée par Manès à la porte de l'Empire Céleste et qu'il serait demeuré en suspend dans les airs pendant plusieurs jours.

Pendant une trentaine d'années, la complaisance du monarque apporte au prophète une aide considérable. Obéir à Dieu et au Prince, est un même acte de soumission. Mais à partir du jour où l'Eglise se sépare de l'autorité temporelle, la persécution commence.

Le roi meurt. Son fils Ormuz lui succède, continuant de couvrir Manès de son amitié. Un an après son intronisation, Ormuz disparaît et c'est son frère Bahrâm qui le remplace.

Hélas ! pour Manès, le nouveau roi n'édhère pas à la lutte permanente entre le Bien et le Mal. Il reste fidèle à la pensée de Zoroastre. Reprenant le folklore religieux de son pays il se contente de la seule spiritualité. le soleil n'est plus adoré. Il devient le symbole de la lumière spirituelle, de la pureté. Le combat du Bien et du Mal étant à l'image de la vie, les vieilles croyances iraniennes prenant un caractère plus accessible. Zoroastre avait promis à ses adeptes qu'un Messie viendrait annoncer la fin redoutée du monde; il avait supprimé les sacrifices d'animaux destinés àapaiser les humeurs des dieux. Il avait simplifié le culte et l'avait mis àla portée des plus déshérités. Le sommet des montagnes tenait lieu de Temple, chacun povait y allumer les feux symbolisant la lumière, c'est-à-dire, le Bien.

Condamnation de Manès

Consultant les mages, Bahrâm obtient une condamnation implacable du prophète Manès. Celui-ci est arrêté, jeté dans un cachot où ne pénètre pas le soleil, attaché au mur par des chaînes et abandonné àune mort lente. Plus que de l'avoir enchaîné, Manès reproche simplement à son bourreau de le prover de soleil, source de vie spirituelle. Son agonie durera vingt-cinqjours. Ses disciples récupèreront son corps pour l'enselir (vers 273). On voit ici l'analogie avec la mort du Christ : on a peine à y croire.

La survie de la doctrine de Manès

L'histoire de Manès a laissé des traces, notamment dans le Turkestan chinois. Sa doctrine a été reconstituée grâce à ses écrits personnels. Il succède à Bouddha, à Zoroastre, à Jésus. Ses conceptions religieuses se fondent sur ce  qu'il a trouvé de meilleur chez ses prédécesseurs.

La base est toujours la dualité du Bien et du Mal, qu'il traduit par la Lumière et les Ténèbres. Dieu est matière. L'homme ignorant son passé, ne peut être sauvé que s'il en reçoit la révélation et que s'il parvient à séparer son esprit, la lumière de son corps, la matière.

le but de tout manichéen est de quitter l'enveloppe matérielle qui l'attache àla Terre, de libérer son âme, siège de l'esprit après la mort et de faire son entrée au royaume de Lumière, le Paradis et le Nirvana

L'homme doit ouvrir son âme à l'illumination intérieure. Autrement dit, dans la pratique, il doit reléguer au second plan son corps et ses exigences, pour ne se consacrer qu'aux forces de l'âme. Il doit pousser l'ascétisme jusqu'à cesser de s'accoupler, de cultiver la terre, d'ériger des maisons et des villages, de manger de la chair animale. Les adversaires du manichéisme voient dans ce renoncement une tendance au suicide, une sorte d'anéantissement progressif de l'espèce humaine.

L'initiation des adeptes consiste à sauver coûte que coûte la substance divine demeurée indépendante de la matière. les disciples de Manès font ainsi la part des choses:

ils divisent les adeptes en deux classes : la première est celle  des "élus", les purs, la seconde celle des "croyants", les auditeurs.

Les purs jeûnent, s'abstiennent de bâtir, de procréer, de manger de la chair animale; ils ne cultivent pas, ils ne possèdent aucun biens. A leur mort, les purs sont acceptés au Paradis.

Les croyants, quant à eux, pourront renaître, selon leur mérite, soit dans un corps humain, soit dans celui d'un animal. ceux qui auront une bonne conduite, n'auront pas prononcé d'injures, ni mentis, ni commis d'adultère, ni méprisés les pauvres, ni adorés les idoles, connaîtront le sort des élus.

On peut se demander pourquoi la religion de Manès a suscité tant de haine sauvage parmi ses condradicteurs. ces derniers pensaient qu'elle était fondée sur le principe d'un monde matériel corrompu, oeuvre de démons, donc condamnable. Or les grands de ce monde ne tolèrent point d'être blâmés par la voie de la religion, laquelle réprouve les ambitions matérielles, le pouvoir absolu arbitraire.

Pour un peuple opprimé, sacrifié à l'amour-propre des tyrans, ily avait donc dans Manès un aliment révolutionnaire à retardement, la revanche de l'esprit sur la matière, le défi de l'âme aux lois iniques. 

C'est grâce aux persécutions que le manichéisme est sorti de son lit, inondant l'Egypte, la Palestine, l'Italie, l'Afrique du Nord, l'espagne, la Gaule, la germanie, l'Asie Centrale et la Chine.

Les communautés manichéennes s'acheminèrent clandestinement jusque vers le Midi de la France où elles prirent feu, propageant l'incendie.

Il semble aisé, à présent d'établir un parallèle entre la doctrine cathare et le manichéisme. il existe certe diverses tendances, mais toutes sont basées sur le principe de l'opposition du Bien et du Mal, dans laquelle l'Homme a été entraîné sans y prendre garde.

Les cathares sont connus sous des noms différents selon les pays, en Italie du nord, dans le nord de la France, dans les Balkans : le terme d'"albigeois" est le nom improprement donné aux vaudois et aux cathares du pays d'oc.

 La doctrine  des cathares, qui trouva dans le midi de la france une terre d'élection, s'apparente à la doctrine des bogomiles. Ces derniers étaient membres d'une secte religieuse dualiste Bulgare, née en Thrace au mileu du Xème siècle (le nom de vient du bulgare bog = dieu et mile =ami, dérivé du grec byzantin bogomilai).

Au XIIème siècle, à travars le royaume bulgare, les bogomiles auraient séduit hypocritement les âmes simples.

Le nom de bogomile, porté par  les premiers prédicateurs, fut abusivement généralisé à l'ensemble du mouvement. Il faut toutefois signaler que les expressions "ami du Bien" "ami de Dieu" (bogomile), aimé de Dieu (théophile) apparaissent parfois dans les témoignages antérieurs à l'Inquisition : ces termes étaient utilisés par les hérétiques occitans comme signes de reconnaissance pour se désigner entre eux et échapper aux inquisiteurs.

 Marie de Mazan 

Cette conférence sur Manès a été écrite pour le Conservatoire de la Poésie Classique Française  et publiée en mai-août 2002 dans la revue les Céphéides 

 

 

 

Rédigé par Marie de Mazan

Publié dans #L'église - les templiers en Brie

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